L’addiction au jeu et sa prise en charge à l’hôpital Paul Brousse (AP-HP)

L’addiction au jeu et sa prise en charge à l’hôpital Paul Brousse (AP-HP)

Le Pr. Michel Reynaud dirige le centre Albatros  – CERTA (Centre d’Enseignement, de Recherche et de Traitement des Addictions) de l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP). Il nous éclaire avec son confrère, le Dr Abdou Belkacem, sur les mécanismes du jeu pathologique et sa prise en charge thérapeutique.

« Le jeu est quelque chose de naturel et d’inné chez l’être humain, explique le Pr Michel Reynaud, responsable du CERTA-Albatros. Nous avons dans le cerveau des circuits de plaisir et de motivation qui nous amènent à faire ce qui nous apporte du plaisir, qu’il s’agisse de sexualité, de nourriture, d’alcool, etc. » Dès lors, vouloir interdire tout ce qui procure du plaisir dans le cadre d’une approche purement hygiéniste se révèle délicat, car l’individu en recherche de plaisir voudra contourner les interdits. En ce qui concerne le plaisir procuré par le jeu, il est bien sûr exclu d’interdire car le jeu en lui-même n’est pas nocif, c’est son abus et son détournement qui peuvent devenir problématiques.

Jeu pathologique et usage problématique

Comment la pratique du jeu devient-elle pathologique ? Les professionnels distinguent deux cas de figure : les jeux d’argent, qu’il s’agisse de jeux de casinos, de bars-PMU ou aujourd’hui de jeux sur internet ; et les jeux vidéos pratiqués essentiellement « en-ligne ». Dans le cas des jeux d’argent, le plaisir est bien évidemment lié au gain, mais, explique Abdou Belkacem, « une personne plus fragile et vulnérable, parce qu’elle connaît des difficultés à un moment donné, va de plus en plus vouloir jouer et gagner, et ne pas se rendre compte qu’elle perd le contrôle. Elle croit alors de façon déraisonnable qu’elle peut toujours « se refaire », et entre dans une phase de pertes qu’elle refuse de considérer pour n’ouvrir les yeux qu’au stade où les conséquences sont telles qu’elle est obligée de demander de l’aide. » On parle de jeu pathologique dans de telles situations.

Pour les jeux vidéo en-ligne, en revanche, on parle seulement d’usage problématique. « Il ne faut pas diaboliser internet, poursuit le Dr Belkacem. Il faut distinguer les applications qui posent problème. Les réseaux sociaux, les blogs, etc., ne sont pas dangereux. Le danger survient pour les jeux qui n’ont pas de limite dans le temps ou pour le nombre de joueurs. Il s’agit des jeux dits MMORPG (multi massively on-line role playing game), c’est-à-dire des jeux de rôle en-ligne avec un nombre illimité de joueurs. Ce type de jeu, à un moment particulier de la vie de l’individu – en l’occurrence l’adolescence – peut l’amener à y passer du temps au point de délaisser sa famille, ses amis, et finalement toute autre activité. On est alors dans l’usage problématique, mais on ne parle pas d’addiction car il ne s’agit pas d’un plaisir simple et immédiat. »

Là encore, il faut préciser que ces jeux en eux-mêmes ne sont pas problématiques. « Ce sont des lieux d’échange, de rivalité, de construction, qui stimulent beaucoup de choses, souligne Michel Reynaud. Leur utilisation devient problématique en général lorsqu’il y a une psychopathologie sous-jacente – c’est-à-dire des difficultés relationnelles et personnelles – qui se traduit par le fait que le jeu devient l’unique moteur, ou le trait principal de la vie de l’individu. » Ainsi, même si cela paraît « toujours trop long aux parents », il est normal que l’adolescent passe un certain temps à jouer sur ordinateur, dès l’instant où il conserve des relations amicales, amoureuses, qu’il fait du sport et qu’il continue à travailler au collège ou au lycée. « L’important est de conserver la possibilité d’arbitrer entre différents plaisirs et de ne pas devenir « accro » à un seul mode de fonctionnement », observe le Pr. Reynaud, qui estime que « les difficultés personnelles précèdent l’usage pathologique du jeu sur ordinateur. »

Une prise en charge psychothérapeutique

Les rares enquêtes réalisées dans les pays anglo-saxons montrent que, pour les jeux d’argent, la pratique pathologique concerne 0.5 à 1% de la population générale. Pour les jeux sur internet, aucune donnée n’existe à l’heure actuelle, mais les professionnels observent au travers de leurs consultations une aggravation du problème. Il faudrait cependant pouvoir distinguer ce qui dans cette hausse est réellement dû à l’augmentation du problème et ce qui est simplement dû au fait que ces pathologies sont désormais bien identifiées.

Pour les adultes et les jeux d’argent, la prise en charge repose sur les thérapies cognitives et comportementales. « Il n’y a pas de traitement de substitution au jeu, observe Abdou Belkacem. Et nous ne sommes pas non plus dans une recherche d’abstinence totale puisque le jeu est inné et naturel. L’idée est de contrôler son comportement de jeu, d’envisager d’autres façons de jouer et de se faire plaisir. » Une partie du traitement va consister à travailler sur les « croyances erronées » à propos du hasard notamment, lorsque le joueur a perdu de vue le fait qu’il ne contrôle pas le hasard. L’objectif est de revenir à une pratique de « jeu responsable ».
En ce qui concerne les jeux vidéo en-ligne, le problème est différent car ce sont les parents qui sont demandeurs d’aide plutôt que l’adolescent lui-même. Là encore, une psychothérapie va permettre le plus souvent de traiter une pathologie sous-jacente liée à l’estime de soi en particulier. La prise en charge va également concerner la famille, souvent désemparée dans ce genre de situations. Dans certains cas, ce sont des adultes qui sont concernés par l’usage problématique, et il faut alors rechercher une pathologie psychiatrique associée : dépression, troubles de l’humeur…

« La psychothérapie donne de bons résultats dans l’addiction au jeu, souligne Michel Reynaud, car contrairement aux dépendances à des produits, il n’y a pas de dommages au niveau des circuits cérébraux, mais simplement une exacerbation des mécanismes naturels du plaisir. » Certains traitements pharmacologiques sont préconisés pour agir sur des pathologies associées comme la dépression ou l’anxiété, mais aucune molécule ne permet à l’heure actuelle de soigner l’addiction au jeu en tant que telle. Des pistes de recherche existent, dans la mesure notamment où l’on sait que certains médicaments qui agissent sur les voies dopaminergiques (voies du plaisir), comme dans la maladie de Parkinson, peuvent déclencher des comportements compulsifs de jeu pathologique. Mais il est « très délicat d’intervenir sur la façon dont les gens prennent du plaisir, souligne Michel Reynaud. Car il peut y avoir des effets secondaires avec d’autres pertes de plaisir ; ce sont des mécanismes très subtils. »